06 Mar 2012 Peut-on coadministrer une page publique d’un réseau social ?
Extrait du Lamy Droit de l’Immatériel de février 2012.
Peut-on coadministrer une page publique d’un réseau social ?
De prime abord, un internaute acteur d’un réseau social intervient personnellement. Pourtant, et notamment sur Facebook, site de référence pour le présent article, les pages institutionnelles ou « para-institutionnelles », les fans clubs, les groupements de clients, d’utilisateurs voire même des pages de collectifs artistiques se multiplient. Ces pages sont généralement créées et animées par des particuliers. Ces pages posent la question de leur « coadministration » surtout que, dès lors que ladite page gagne en audience, il n’est pas rare que l’entreprise, la collectivité territoriale ou l’artiste objet de la page cherche à en contrôler le contenu en revendiquant la qualité de coadministrateur avec ses créateurs.
Il ne s’agit pas de traiter en l’espèce du cybersquatting qui, depuis que certains réseaux sociaux autorisent la création de pages avec nom de domaine du type www.reseausocial.com/marque peut sévir comme partout ailleurs sur la toile. Souvent, les sites prévoient d’ailleurs des mécanismes de résolution de litige (voir les articles 4.10 et 5.3 des conditions Facebook). Dans l’hypothèse traitée ici, il s’agit plus exactement d’une coadministration expresse, collaborative et raisonnée entre, par exemple, une marque et une communauté d’utilisateurs d’un produit.
Si techniquement, Facebook autorise plusieurs administrateurs pour une même page, cette pratique pose des questions tant par rapport aux propres conditions de services Facebook (I), qu’en droit de la presse et de l’Internet (II) ou encore dans les relations directes entre les coadministrateurs (III).
I. Coadministration de pages Facebook : silence des conditions applicables
La question de la « coadministration » ne peut se poser que sur des pages publiques, c’est-à-dire librement accessibles. Une question sur tout réseau social est de pouvoir déterminer ou non ce caractère public dans la mesure où seuls les membres du réseau social peuvent y accéder.
Les conditions générales Facebook sont composées notamment des « Pages Terms » et des « Terms ». Facebook entend les faire prévaloir la version « anglaise US » de ces Conditions.
Selon le point 2 des « Page Terms », le contenu est page est public et accessible à tous.
En France, le juge semble se ranger à cette affirmation. Le caractère public du contenu mis en ligne a été retenu dans, notamment, la très médiatique affaire du conseil des prud’hommes de BOULOGNE BILLANCOURT, 19 novembre 2010 : « En premier lieu, il est fait observer que M. C a choisi dans le paramètre de son compte, de « partager sa page Facebook avec ses amis et leurs amis », permettant ainsi un accès ouvert (…) il en résulte que ce mode d’accès à Facebook dépasse la sphère privée ». A fortiori, sur la page coadministrée, le caractère public ne pourra être remis en cause.
Les conditions d’obtention de la qualité d’administrateur de même que ses prérogatives ne sont pas définies dans les conditions générales Facebook.
Dans une précédente version des conditions générales Facebook applicables jusqu’en octobre 2010, il était prévu que, sous la responsabilité des administrateurs, des « officers » ou « responsables ».
Appointés par chaque administrateur, les responsables n’avaient pas plus de prérogatives que les membres standards si ce n’est d’apparaître sous cette qualité. Ils ne pouvaient envoyer de messages à tous les membres ou retirer des membres.
Si ce n’est d’apparaître sous cette qualité de « responsable », ces responsables n’ont donc pas fait la preuve de leur utilité, ils ont été purement et simplement supprimés.
La création d’un coadministrateur sur Facebook est possible une fois que la page publique a été créée. L’ajout se fait par création de compte par l’administrateur originel. Ce premier administrateur comme le suivant peuvent ensuite créer autant d’autres comptes administrateurs que nécessaire. Les pouvoirs de l’administrateur sont importants. Ils vont de la modération du contenu sur la page, à sa fermeture.
Etonnamment, les conditions Facebook à ce jour applicables sont muettes sur la coadministration d’une page publique. Il faut en revenir aux grands principes légaux et mieux, au contrat, pour organiser ces relations.
II. Législation française et coadministration
Sur Facebook, les rôles respectifs entre ce site et les administrateurs sont encore flous. Qualifier ces rôles respectifs par rapport au droit français pose en soi question (A). Le régime de responsabilité propre à l’un ou l’autre est en construction (B).
Application de la loi française et identité des administrateurs de la page publique
Même si cela peut prêter à sourire pour tout juriste, le point 16 des conditions Facebook n’exclut pas l’application d’autres législations que celles des Etats-Unis d’Amérique.
Quoi qu’aient pu prévoir ces conditions, la loi française est susceptible de jouer en cas, par exemple, d’infraction de presse ou de contrefaçon de droits intellectuels de tiers sur un site de réseau social, à l’instar de n’importe quel site web.
Or, dans le mode actuel de fonctionnement de la page coadministrée, il n’est pas matériellement possible, pour le visiteur tiers de savoir qui sont les administrateurs.
Ce sont donc à la fois les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et celles de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (ci-après LCEN) qui ne peuvent être respectées.
En effet, d’après l’article 6 III points 1 et 2 de la LCEN, il faut mentionner le directeur de publication / l’éditeur / l’hébergeur.
La sanction de ce texte est prévue à l’article 6 VI 2 LCEN : 1 an d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
En pratique, ces sanctions sont très rarement appliquées. L’exemple le plus célèbre est l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 12 mars 2008 concernant le journal Le Monde dans l’affaire des caricatures de Mahomet. Ce journal n’a pas été sanctionné alors qu’il n’avait pas indiqué que le site internet était édité par une autre société ce qui avait empêché une personne d’exercer son droit de réponse.
En pratique, ces mentions légales sont assez peu respectées. Une étude faite par la DGCCRF de 2007 (Bilan 2007 du réseau de surveillance de l’internet – avril 2008, site DGCCRF) constate que 38% des sites internet commerciaux étaient en infraction. La principale infraction c’était l’absence des mentions obligatoires (65% des infractions). Cette étude ne prend pas en compte le phénomène des réseaux sociaux qui, comme dans le cas présent, contribue à brouiller encore un peu plus le paysage. Face à un juge, on peut se demander si l’impossibilité matérielle de respecter les mentions légales sera ou non suffisant pour être relaxé du chef de violation de l’article 6 III LCEN.
Régime de responsabilité applicable à Facebook et aux coadministrateurs
En ne sachant pas qui fait exactement quoi, la victime de propos litigieux sur une page publique Facebook ne pourra, au mieux, que faire un « reporting » automatique de ce contenu via l’onglet « report story or spam », sans savoir s’il s’adresse à Facebook ou à l’administrateur. Si le régime de responsabilité applicable à Facebook a déjà été jugé (1) tel n’est pas le cas à l’égard des administrateurs (2) ni dans la relation entre ces derniers et Facebook (3).
Régime applicable à Facebook pour la page publique coadministrée
Classiquement, dans la logique de l’article 6 I 2 de la LCEN, la responsabilité de l’hébergeur ne sera engagée qu’en cas :
– de contenu manifestement illicite,
– et s’il n’a pas agi promptement pour le retirer ou en rendre impossible l’accès,
– dès qu’il en a eu connaissance ou qu’un internaute l’a signalé.
Il a déjà été jugé que Facebook n’était que simple hébergeur au sens de l’article 6 I 2 de la LCEN (TGI Paris, H. Giraud c./ Facebook France, 13 avril 2010).
On peut douter que le statut d’hébergeur persiste pour toutes les situations avec l’essor du des réseaux sociaux et du commerce sur ces plates-formes (on parle déjà pour Facebook du « F-commerce »).
Dans un rapport publié le 9 février 2011, le Sénat envisage la création d’une troisième catégorie d’acteurs du net « les éditeurs de services », entre le statut d’éditeur et celui d’hébergeur. Cette nouvelle catégorie regrouperait les sociétés qui retirent un avantage économique direct de la consultation des contenus hébergés. Un tel régime semblerait opportun pour un site comme Facebook !
Régime de responsabilité applicable aux administrateurs
Concernant le ou les administrateurs d’une page publique Facebook, en l’état actuel de ce site, leur rôle ne peut être que d’administrer le contenu qu’a posteriori c’est-à-dire après mise en ligne par l’internaute. Dans la lignée de la jurisprudence sur les modérateurs de blog, un régime de responsabilité proche de celui des hébergeurs devrait être appliqué.
Cette assimilation au régime juridique de l’hébergeur au sens de l’article 6 I 2 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 pouvait sembler être une solution relativement bien établie pour les modérateurs de blog (voir par exemple TGI LYON, 21 juillet 2005, www.legalis.net).
Deux arrêts du 16 février 2010 de la chambre criminelle de la cour de cassation sont venus remettre en cause cette solution en retenant que l’administrateur d’un forum ou d’un blog peut être assimilé à un producteur au sens de la loi du 29 juillet 1982. En application de l’article 93-3 de cette loi, en l’absence d’identification de l’auteur des propos litigieux, le producteur pourra être poursuivi comme auteur principal.
Suite à ces arrêts mais à l’occasion d’une autre procédure, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant cet article 93-3. Le conseil constitutionnel a formulé une importante réserve d’interprétation. Cet article ne saurait instaurer une « présomption irréfragable de responsabilité pénale (…) [pour] l’animateur d’un site (…) à raison du seul contenu dont il n’avait pas connaissance avant la mise en ligne. » On en revient clairement à un régime de responsabilité allégé pour l’administrateur ne pouvant réaliser qu’un contrôle a posteriori (pour plus d’information sur ces arrêts et la décision du Conseil, cf. RLDI, n°76, novembre 2011, pages 44 et 48).
Cela dit, pour l’administrateur de page publique, sans possibilité d’édicter une page éditoriale claire, faire le « ménage » sur une telle page (voir infra) risque d’être périlleux. En effet, le retrait de contenu posté par un membre Facebook sans lien avec la thématique de la page pourrait être discuté par ce membre. Que dire également du message public retiré parce qu’il déplaît à l’administrateur ?
Régime de responsabilité entre le/les administrateurs et Facebook
Les rares décisions françaises ayant eu à connaître de contentieux sur un réseau social n’ont pas encore traité de la répartition des rôles (et des responsabilités) entre Facebook et un ou des administrateurs.
Si le ou les administrateurs ne répondent pas à la sollicitation d’une victime de contenu litigieux ou susceptible de l’être sur une page administrée, il y a fort à parier que la responsabilité qu’en dernier lieu, c’est à Facebook en tant qu’hébergeur que la victime devra s’adresser.
III. Relations entre coadministrateurs et gestion de la page
Faute d’un cadre contractuel et législatif adapté à la coadministration d’une page sur Facebook, c’est donc entre les administrateurs que la relation devra être organisée contractuellement. Ce contrat ne peut être assimilé à la mise à disposition d’espace. Cela n’aurait pas de sens car tout membre du réseau Facebook peut déjà publier du contenu sur la page. En réalité, la convention doit poser les règles d’obtention et d’exercice de la qualité d’administrateur (A), de détermination (B) et de conduite d’une politique éditoriale (C).
Principes d’administration sur Facebook
Prise de qualité d’administrateur sur Facebook
Dans le silence actuel des conditions générales Facebook, seule une convention entre les administrateurs d’une même page permet de régler les conditions d’accession à cette qualité et les responsabilités qui y sont liées.
Au sein d’une association ou d’un collectif, l’organe délibérant devra préalablement fixer ces critères.
Une préoccupation importante est d’empêcher que l’une ou l’autre partie ne retire d’office la qualité d’administrateur à l’autre. Cet engagement est fondamental et doit être sanctionné par la convention. Une clause pénale peut venir sanctionner les abus. Il faut dans ce cas que cette sanction puisse s’appliquer de « plein droit », c’est-à-dire sans avoir à saisir un juge pour qu’elle soit applicable. Bien évidemment, une telle clause doit avoir un effet dissuasif. A ce titre, il est d’ailleurs également possible de prévoir une clause résolutoire qui puisse permettre de mettre un terme au contrat en cas de survenance d’une telle dérive.
Régime juridique de l’administration de la page
Selon que la modération est effectuée avant ou après mise en ligne au public du contenu, le régime de responsabilité ne sera pas le même envers la victime. Depuis les premières décisions sur les blogs ou forums en ligne, les solutions sont bien établies.
Ainsi, l’administrateur qui contrôle le contenu avant sa mise en ligne sera, selon les lois de 1881 et de 2004 précitées, assimilé à l’éditeur donc responsable de ce contenu. Plus précisément, c’est le directeur de la publication en tant que personne physique qui est visé personnellement. S’il y a deux administrateurs, il est admis qu’il puisse y avoir « codirection ».
Cette hypothèse doit être écartée puisque, sur Facebook, seul le contrôle a posteriori est possible. Sur Facebook, c’est seulement après publication du message, qu’un administrateur peut supprimer ou simplement masquer du contenu.
C’est ainsi un contrôle « a posteriori » que Facebook propose comme sur de nombreux sites de blog ou avec applications interactives de type Web 2.0.
Définition d’une politique éditoriale sur Facebook
Les « Pages terms » empêchent les administrateurs d’édicter plus de restrictions que Facebook n’en pose elle-même (point 9).
Concrètement, même si des administrateurs voulaient publier sur Facebook leurs propres conditions pour l’accès et la publication des messages, ils ne peuvent matériellement le faire. C’est, semble-t-il, dans les mots clés décrivant l’objet de la page que les administrateurs pourront fixer les grandes lignes de la politique éditoriale.
Il s’agit d’une page à caractère purement informatif, culturel et touristique : cela pourra figurer dans la fiche d’ouverture de la page. S’il s’agit d’une page à caractère commercial, il faudra l’énoncer en toute transparence : Facebook peut rapidement retirer des pages qui dissimulent leur réelle intention.
Faute de pouvoir fixer et surtout de communiquer une ligne éditoriale aux contributeurs Facebook, les administrateurs pourront peu intervenir sur la page, sauf à ce que du contenu illicite au sens de l’article 6 I 7 de la LCEN (contre les messages incitant à la haine raciale, à la pédopornographie…) ou susceptibles de l’être et après régulière notification de la personne victime à l’administrateur s’il est identifiable sinon à Facebook (art. 6 I 5 LCEN).
Gestion quotidienne de la page
La gestion au quotidien de la page est le point le plus sensible qui doit être traité par contrat.
Il doit y avoir des règles simples avec une gestion en « mode projet » et une obligation de collaboration. Concrètement, cela signifie qu’un référent avec un suppléant doit être désigné par chaque partie. Cela doit permettre une concertation simplifiée et réactive en cas de nécessité d’intervention sur la page (retrait de contenu malveillant ou non conforme à la politique éditoriale).
Trimestriellement ou semestriellement, une réunion de projet doit pouvoir être organisée pour faire un point d’étape sur la gestion « éditoriale » de la page.
En termes de gestion de responsabilité vis-à-vis des tiers, les parties auront intérêt à fixer entre elles des règles pour la répartition du risque face à un internaute mécontent. En cas de retrait fautif et prématuré d’un « post », si la décision a été unilatéralement prise par un administrateur en violation de la politique éditoriale qu’ils se sont fixés, il ne serait pas inconvenant que l’administrateur concerné en supporte seul toutes les conséquences.
Plus grave : par le fait d’un administrateur, les droits sur la page peuvent être perdus quelle qu’en soit la raison. Une page Facebook peut regrouper plusieurs milliers voire dizaine de milliers de visiteurs qui peuvent s’affilier à la page en en devenant « fan ». Face à une communauté d’utilisateurs ou de fans de certains produits (il existe des pages sur certains modèles précis de chaussures de sport, voire même pour une marque célèbre de conserves de porc breton), il est crucial pour toute entreprise de fidéliser ce noyau d’acheteurs convaincus. En cas de perte de droits sur la page, voire même pire de disparition totale de celle-ci, on mesure mieux le préjudice important que cela peut représenter pour l’entreprise ou l’institution concernée. Il peut donc être opportun de prévoir par contrat, comme évoqué plus haut, une clause pénale qui pèserait sur l’administrateur qui serait à l’origine d’une atteinte à l’audience de la page voire de sa disparition.
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En conclusion, organiser la coadministration d’une page web sur Facebook revient à construire une maison sur un terrain glissant. En raison de la soumission aux conditions générales Facebook, l’organisation de la relation entre les parties peut être remise en cause à tout moment. Face à un contexte juridique aussi mouvant, les parties devront donc se montrer de parfaite bonne foi dans l’exécution de la convention de coadministration et accepter de la renégocier en fonction des circonstances dans le cadre d’une clause d’imprévision.