15 Déc 2009 Deux décisions rendues en matière de base de données : un régime juridique parfois flou.
Dans ces deux décisions (Cour d’appel d’Aix en Provence, 3 septembre 2009 et TGI LILLE, 29 novembre 2009), une société reprochait à une autre d’avoir récupéré des données constituant une base de données. La société demanderesse (celle qui avait saisi le tribunal pour se plaindre de la contrefaçon) animait une base de données sur internet. Dans un cas, il s’agissait d’une base de données de radars fixes ou mobiles et dans l’autre cas, une base de données d’entreprises ou de fonds de commerce à vendre.
Plusieurs questions sont successivement envisagées par le tribunal et la cour d’appel. On ne retiendra dans ce bref billet que les trois questions de fond (la validité de la saisie-contrefaçon avait notamment été discutée, ainsi que la titularité des droits, c’est-à-dire la détermination du propriétaire de la base de données).
D’une part, la base de données peut être protégée sur le fondement du droit d’auteur.
C’est ce qui est prévu à l’article L.112-3 du code de la propriété intellectuelle. La seule condition pour qu’une base de données soit protégée sur le fondement du droit d’auteur est que la base de données soit dans son organisation marquée par une certaine originalité (cf. la Directive 96/9, l’article 3, qui vise les bases de données « […] qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent une création intellectuelle propre à leur auteur […] ».
La cour d’appel d’AIX EN PROVENCE refuse la protection de la base de données de cession de fonds de commerce, car l’organisation de la base de données ne reflète pas l’empreinte de la personnalité de l’auteur. La motivation paraît inattaquable. Mais la cour d’appel rajoute que l’architecture en question n’est pas originale, car elle ne révèle aucune espèce de nouveauté. Sur ce point, la cour d’appel a tort : la nouveauté concerne le brevet (pour qu’un brevet soit délivré, il faut qu’il réponde avec inventivité à un problème technique) et pas le droit d’auteur.
En ce qui concerne la décision du tribunal de grande instance de LILLE, elle est encore plus critiquable : le tribunal accepte la protection par le droit d’auteur de la base de données de GPS, en s’appuyant principalement sur le fait que la base de données comportait 24 champs, dont certains étaient extrêmement précis puisque les coordonnées GPS des balises de radars étaient précis à cinq chiffres après la virgule. On ne peut parler ni de nouveauté, ni même d’inventivité en la matière.
Accepter la protection du droit d’auteur sur ce fondement paraît extrêmement critiquable sur le plan juridique.
En matière de base de données, l’originalité se rapproche de la définition en matière de logiciel par l’arrêt de principe en la matière (arrêt de l’assemblée plénière de la cour de cassation du 7 mars 1986, dit arrêt Pachot), qui a accepté la protection par le droit d’auteur parce que l’auteur « avait fait preuve d’un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante et que la matérialisation de cet effort résidait dans une structure individualisée ».
A côté du droit d’auteur, une base de données peut être protégée par le droit spécial prévu à l’article L.341-1 du code de la propriété intellectuelle.
La cour d’appel d’AIX EN PROVENCE n’était pas saisie par le titulaire de la base de données sur ce fondement, probablement avec raison depuis que par un arrêt de principe du 5 mars 2009, la cour de cassation a refusé la protection du droit spécial aux gestionnaires d’une base de données de petites annonces.
Quant au tribunal de grande instance de LILLE, il accepte la protection par le droit spécial, car le producteur de la base de données démontrait qu’il mobilisait un service de neuf personnes pour la mise à jour des coordonnées des lieux d’implantation des GPS fixes et mobiles, ce qui dénotait un fort investissement de sa part.
Cette solution paraît parfaitement cohérente, car le droit spécial est reconnu en cas d’investissement humain, matériel ou financier, portant sur la collecte, la vérification ou la publication des données.
Là où la motivation du jugement du tribunal de grande instance de LILLE est plus critiquable, c’est que le tribunal condamne aussi la même société sur le fondement de la concurrence déloyale pour parasitisme.
Or, le parasitisme est défini comme étant le fait de tirer parti des investissements d’autrui sans bourse délier. On punit donc sur deux fondements juridiques différents le même comportement : le fait de s’approprier les investissements d’autrui.
Cette solution paraît illogique, car sur le plan juridique, s’il existe un texte spécial (le droit sur la base de données), on ne peut pas appliquer le texte général (l’article 1382 du code civil).
Sur le plan de la concurrence déloyale aussi, la cour d’appel d’AIX EN PROVENCE rend une décision critiquable. Elle accepte la condamnation de la société qui avait reproduit une base de données sur le fondement du parasitisme pour détournement d’investissement.
Ici aussi, il paraît incohérent de sanctionner un opérateur économique (quelque soit les comportements qui lui soient reprochés) sur la base d’une théorie générale, alors qu’il existe une théorie spéciale.
C’est deux décisions illustrent les difficultés d’application du droit des bases de données : d’une part, les régimes de protection (droit spécial d’un côté, droit d’auteur de l’autre) s’appliquent à des conditions différentes et obéissent à des régimes différents.
D’autre part, l’articulation entre le droit de la propriété intellectuelle (comprenant le droit d’auteur et le droit spécial) et la concurrence déloyale est une question récurrente et qu’il est parfois difficile d’appréhender.
Pierre après pierre, l’édifice jurisprudentiel relatif à la base de données se construit. mais la maison ressemble parfois à la Tour de Pise…