08 Juin 2021 Brevet logiciel : simuler n’est pas jouer
Le sujet du brevet logiciel est une source de grandes passions. Selon ses adversaires, c’est un obstacle majeur à l’innovation dans le monde informatique. Selon ses partisans, c’est le signe concret que la propriété intellectuelle protège et rémunère les innovateurs.
Le débat est complexe, et quasi-philosophique. Ce billet sera beaucoup plus modeste.
Tout d’abord, il faut rappeler que les logiciels en tant que tels sont exclus du domaine des brevets. C’est l’application de la règle de l’article 52 de la Convention sur le brevet européen qui est repris par l’article L 611 – 10 du code de la propriété intellectuelle en France.
Le texte (que j’ai raccourci pour en faciliter la lecture) dit que « ne sont pas considérées comme des inventions (pouvant faire l’objet d’un brevet) … notamment :
c) … les programmes d’ordinateurs ;
d) Les présentations d’informations. »
Le texte ajoute que ces « dispositions…n’excluent la brevetabilité (de ces) éléments que dans la mesure où… le brevet ne concerne que l’un de ces éléments considéré en tant que tel ».
En application de ces textes, l’office européen des brevets et l’institut national de la propriété intellectuelle délivrent fréquemment des brevets sur des inventions mises en œuvre par ordinateur (notamment dans les domaines du traitement de signal, des objets connectés, ou de la gestion des serveurs informatiques).
L’exemple le plus célèbre qui illustre ce principe est celui portant sur le système antiblocage de roue (l’ABS) dans lequel le système mesure la pression exercée sur la pédale de frein par le conducteur et le blocage des roues.
Si les roues sont bloquées (ou si la pédale de frein est enfoncée trop brutalement), le système desserre la mâchoire de frein, et tout cela est géré par un calculateur (donc un programme d’ordinateur). Dans ce cas, c’est l’ensemble constitué par les capteurs, le calculateur, le programme informatique qui est dans le calculateur, et le système qui desserre la mâchoire de frein qui fait l’objet d’un brevet.
De manière assez classique, les directives de l’office européen des brevets vont plutôt dans le sens de la délivrance d’un brevet lorsqu’il y a un effet physique de l’invention. Vous pourrez lire les directives de l’OEB ici.
La réalité est que dans certains cas, un brevet est délivré pour une invention qui est un pur programme informatique, voire une présentation d’informations.
La grande chambre de recours de l’Office européen des brevets (qui est une sorte de Cour de cassation en haut de la hiérarchie de cette organisation) vient de rendre le 10 mars 2021 une décision qui limite un peu le champ de la brevetabilité (G 1/19, 10 mars 2021, en anglais). Il s’agissait de déterminer si une méthode de simulation informatique pouvait faire l’objet d’un brevet. La décision qui était soumise à la grande chambre était très tolérante. Elle avait jugé que la simulation d’un système physique pouvait résoudre un problème technique (et donc donner lieu à la délivrance d’un brevet) lorsqu’elle reflétait au moins partiellement les principes techniques du système ou du processus simulé. Si cette décision avait été confirmée, c’était la porte ouverte au brevet logiciel « pur ».
La grande chambre a renversé cette décision et décide que « des valeurs numériques reflétant le comportement physique d’un système modélisé par ordinateur ne peuvent généralement pas suffire pour établir le caractère technique de l’invention » (point 128 de la décision).
Le système des brevets portant sur les inventions mises en œuvre par ordinateur est globalement insatisfaisant car il se traduit par une pratique très tolérante des offices européens et nationaux. D’ailleurs, même quand un brevet logiciel est délivré par un institut, et qu’il est ensuite soumis à des juridictions françaises, le résultat est souvent l’annulation du brevet (voir la décision Orange contre Free du 18 janvier 2015, et notre commentaire). C’est donc plutôt une bonne chose que la grande chambre de recours de l’Office européen des brevets ait rappelé qu’il existe une frontière au « brevet logiciel » : tout ce qui est numérique n’est pas brevetable.