05 Oct 2012 Contentieux informatique : l’expertise amiable est parfois sans valeur…

(Cet article a été publié il y a 12 ans.)

Il est fréquent qu’à la suite de dysfonctionnements informatiques, un client souhaite mettre en cause la responsabilité de son prestataire (éditeur, intégrateurs web agency…).

Dans ce cas-là, la première question à se poser (du côté du client comme du prestataire) est celle de la démonstration des griefs du client : comment faire la preuve que ce qui a été livré ne fonctionne pas ? Fonctionne mal ? Ne correspond pas à la commande ? Ne correspond pas aux souhaits exprimés notamment dans le cahier des charges ?

Le conseil avisé et expérimenté prévient alors son client qu’une expertise judiciaire (c’est-à-dire menée par un expert nommé par le tribunal, le plus souvent en référé) constitue une véritable gestion de projet avec ses risques de dérives en terme de délai et de coût. Pour parler simple, certaines expertises judiciaires durent plusieurs années et coûtent très cher. Il est aussi vrai que certaines (j’ai un exemple récent à l’esprit) peuvent se résumer à trois réunions espacées chacune d’un mois, l’expert demandant à chaque partie de remettre à l’issue de chaque réunion un résumé synthétique de sa position et l’expert rendant dans un délai très bref un rapport d’expertise synthétique et clair dans ses conclusions, pour un coût relativement modéré. Sur ce point, l’avocat peut être moteur et faire prévaloir certaines techniques de gestion de projet…

Il est alors tentant de faire un procès « à l’économie » en faisant intervenir un expert amiable qui va dresser un rapport de ses constatations qui seront évidemment favorables (!!!) : cet expert attestera que le logiciel ne fonctionne pas, ou très mal, et qu’il ne correspond pas à la commande ni au cahier des charges.

On appelle aussi : « expert privé » celui qui est missionné par une partie, à l’inverse de l’expert « judiciaire » qui est celui nommé par le tribunal.

Dans ce cas-là, le premier conseil est de se préoccuper de la qualité du signataire. Il faudra par exemple privilégier un expert inscrit sur une liste d’expert judiciaires (liste établie par les cours d’appel) et éviter de faire signer à un consultant non référencé un document de piètre qualité formelle.

Mais à supposer même que la signature donne au juge envie de croire aux affirmations de l’expert amiable, il faut prendre garde à un autre piège : la valeur juridique du rapport d’expertise privé.

Dans un arrêt récent de la Cour de Cassation (chambre mixte, 28 septembre 2012), la portée de ce type de rapport a été sévèrement limitée. Comme souvent, l’affaire n’a rien à voir avec de l’informatique (car les contentieux informatiques qui donnent lieu à un arrêt de la Cour de Cassation sont rares) mais la solution qui est donnée par la Cour de Cassation, de manière très solennelle puisque l’arrêt est publié au bulletin doit être pris en compte par tout ceux qui s’intéressent aux contentieux informatiques.

Dans cette affaire, une voiture avait brûlé et pour mettre en cause la responsabilité du constructeur, l’assureur du propriétaire de la voiture avait fait intervenir un expert privé qui avait rendu un rapport mettant en évidence que l’incendie du véhicule était causé par un câble électrique défectueux. La cour d’appel avait retenu la responsabilité du fabricant la voiture. La Cour de Cassation est très sévère : dès lors que le rapport d’expertise est le seul élément de preuve versée par le demandeur, il n’est pas suffisant pour démontrer la responsabilité du constructeur.

Jusqu’à cet arrêt, la solution qui était donnée par la Cour de Cassation était qu’un rapport d’expertise privée pouvait être retenu par un tribunal comme moyen de preuve à condition qu’il soit soumis à la discussion contradictoire des parties. Et c’est ainsi que dans certains dossiers on avait deux rapports d’expertise privée, l’un disant très exactement l’inverse de l’autre ;).

Mais la Cour de Cassation semble rajouter une condition : il ne faut pas que le rapport d’expertise privée soit le seul élément de preuve versée par le demandeur.

Il est probable que la Cour de Cassation, en prenant cette décision, a eu la volonté d’inciter ceux qui demandent réparation d’un préjudice à saisir le juge des référés pour faire nommer un expert judiciaire. Car c’est ainsi, que par le biais d’une discussion sous l’égide de l’expert nommé par le tribunal (et qui présente souvent le caractère d’impartialité indispensable), que les choses avancent, le plus souvent vers une négociation d’ailleurs.

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Bernard Lamon
Bernard Lamon
BL@nouveaumonde-avocats.com

Avocat fondateur, spécialiste en TIC. Voir ma fiche complète.