08 Fév 2012 Internet : l’éternel casse-tête juridique – Républicain Lorrain
Article paru le 2 février 2012 sur le Républicain Lorrain. Interview d’Eric LE QUELLENEC, avocat associé.
« Internet : l’éternel casse-tête juridique
Arrivera-t-on un jour à réguler internet ? Eric Le Quellenec, avocat spécialisé dans le droit de l’informatique, en doute.
La fermeture du site de fichiers partagés MégaUpload constitue-t-elle un tournant dans l’histoire de la régulation d’internet ?
Eric LE QUELLENEC : « Pas vraiment. Elle montre plutôt l’échec de la répression pénale envers l’internaute lambda, engagée en masse au début des années 2000. La force publique veut plutôt revenir à la source, c’est-à-dire vers le prestateur-hébergeur-fournisseur de plateformes d’échanges. Comme cela a déjà été fait avec Napster (Un service destiné uniquement à l’échange de fichiers musicaux et fermé par décision judiciaire) en 2001. On recommence donc un nouveau cycle qui ressemble beaucoup au premier. »
Internet est-il condamné à rester indéfiniment une jungle incontrôlable ?
« On fait des avancées ponctuelles sur des domaines précis. Mais pour mettre un terme aux fraudes comme la contrefaçon, l’usurpation d’identité ou l’accès aux données personnelles, la dimension internationale d’internet empêche d’avoir une solution efficace. Il y a une course-poursuite sans fin entre le législateur et la technologie, qui a toujours un coup d’avance. Aujourd’hui, par exemple, la loi Hadopi est obsolète. »
Des internautes se disent prêts à payer une licence globale pour accéder aux fichiers. Est-ce si compliqué à mettre en place ?
« Pour cela, il faudrait une sorte de Grenelle de l’internet. Mais jamais on a réuni tous les acteurs. Les producteurs n’ont pas souhaité faire le pas et aller vers des modèles économiques innovants. On a donc laissé éclore beaucoup de projets sur internet pour favoriser une nouvelle forme d’économie. Sans se rendre compte des effets pervers de cette liberté donnée au commerce et à l’industrie. »
Le traité Acta vient d’être signé au niveau international. Cela aura-t-il un impact ?
« C’est une pétition de principe qui rejoint la convention de Vienne qui dit qu’une œuvre protégée dans un pays l’est aussi dans un autre. Je ne suis pas persuadé que cela amènera des solutions efficaces. Si on voulait vraiment mettre les moyens pour protéger la propriété intellectuelle sur internet, il faudrait créer au sein de l’Onu une forme d’Interpol spécialisé. Tant qu’un tel organisme international d’enquête ne sera pas mis en place, je ne vois pas bien ce qu’un traité apportera. »
Les Anonymous ont peur de perdre leur dernier espace d’expression. Est-ce justifié ?
« On est à ce moment clé de savoir à quel niveau il est préférable de mieux encadrer internet. Si cela se fait au niveau des fournisseurs d’accès, il y a un risque sérieux de surveillance généralisée des réseaux et je peux comprendre leurs craintes. En revanche, croire qu’internet est un espace libre et en dehors de la sphère juridique, c’est un peu angélique. Certes, c’est grâce à internet que les révolutions dans les pays arabes ont pu prospérer. Mais lorsque cela vient toucher aux droits d’auteur, leur position paraît excessive. »
Propos recueillis par Ph. M.
Voir l’article sur le site du Républicain Lorrain : http://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2012/02/02/internet-l-eternel-casse-tete-juridique