09 Nov 2009 La licence GPL est valable en droit français : premier arrêt de cour d’appel.
Pour la première fois en France, une cour d’appel s’est prononcée sur la portée de la licence GPL et a admis sa validité en droit français. L‘arrêt a été rendu le 16 septembre 2009 par la cour d’appel de Paris.
L’affaire qui a donné lieu à cet arrêt est relativement simple à l’origine. L’association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) avait commandé à un prestataire informatique des « espaces ouverts de formation » à installer dans ses établissements avec un mobilier spécifique, un ordinateur, un réseau informatique, des logiciels dédiés de communication et des logiciels pédagogiques.
Le prestataire qui avait emporté l’appel d’offres avait installé trois sites pilotes dont la recette technique avait été prononcée après la levée des réserves, mais dans le processus de recette, l’AFPA avait émis des réserves sur « la nature juridique des logiciels » installés sur les « espaces ouverts de formation ».
Considérant qu’elle avait été trompée sur certains éléments, l’AFPA a refusé de payer. Un long contentieux s’en est suivi. Le prestataire a demandé le paiement de ses prestations pendant que l’AFPA faisait nommer un expert judiciaire. Au vu du rapport, le tribunal de grande instance de Bobigny a condamné le 21 septembre 2004 l’AFPA à payer plus de 900.000 € au prestataire.
La cour d’appel, sur demande de l’AFPA, a ordonné un complément d’expertise, confié à un autre expert, pour déterminer si dans la livraison à l’AFPA, n’avait pas été livré un logiciel libre masqué volontairement par le prestataire.
L’AFPA demandait à la cour d’appel d’infirmer le jugement et s’appuyait sur le fait que la solution informatique contenait un logiciel libre, VNC, dont les mentions de « copyright » avaient été remplacés, dont le texte de la GPL avait été supprimé, exposant donc l’AFPA à un procès en contrefaçon. De plus, l’AFPA reprochait au prestataire d’avoir modifié le système de protection du logiciel, permettant au prestataire de prendre le contrôle à distance de la machine.
VNC est un logiciel bien connu par les prestataires informatiques puisqu’il permet de contrôler à distance un ordinateur pour en assurer la maintenance. Le fonctionnement suppose que l’utilisateur donne au technicien qui se trouve à distance accès à sa machine.
Le prestataire répliquait qu’il n’avait jamais caché l’existence d’un logiciel en GPL, et que quelques semaines après l’émission des réserves par l’AFPA, le problème avait été résolu. Le prestataire affirmait que lors des tests destinés à prononcer la recette, le logiciel présent sur les solutions informatiques était en phase de développement. Dès que l’AFPA avait soulevé des questions sur « la nature juridique des logiciels », le prestataire avait pris l’engagement de régulariser la situation. Le prestataire ajoutait que la modification du logiciel ne créait pas de vrai « trou » de sécurité.
La cour d’appel a considéré que la présence d’un logiciel libre n’avait pas été dissimulée, mais que la recette ne pouvait pas se faire sur un environnement de développement, mais sur un produit informatique définitif. Or, les livraisons préalables à la recette contenaient des versions de VNC dont les mentions de copyright avaient été modifiées, et dans cette version, la prise en mains à distance n’était pas autorisée par l’utilisateur, et que tous les postes avaient un mot de passe identique. En revanche, la cour d’appel ne se prononce pas sur l’argument du prestataire indiquant qu’il avait régularisé la situation quelques semaines après la découverte du problème par son client. Dès lors, la cour d’appel a jugé que l’AFPA avait résilié valablement le contrat aux torts du prestataire, et donc aucune somme n’est due au titre du contrat.
On peut tirer de cet arrêt trois enseignements, après avoir souligné qu’il a été rendu par une chambre de la cour d’appel qui n’est pas celle spécialisée en droit de la propriété intellectuelle (ce qui laisse planer un léger doute sur la certitude que la solution sera toujours la même devant la cour d’appel de Paris).
Tout d’abord, livrer une solution informatique qui présente un « trou de sécurité » justifie la résiliation du contrat aux torts du prestataire.
Ensuite, et c’est sûrement le plus intéressant, livrer une solution informatique qui ne respecte pas la licence GPL équivaut à une livraison non-conforme parce que, dit la cour d’appel, cela expose le client à une action en contrefaçon. Il s’agit de l’application de la garantie d’éviction : le vendeur d’une chose doit en garantir la jouissance paisible à l’acheteur (article 1626 du code civil).
Enfin, il est parfois impossible de régulariser une situation. Des développeurs pris par le temps utilisent du code libre en pensant parfois qu’il sera toujours temps de re-développer si l’insertion de code libre est découverte. Hélas, c’est trop tard nous dit la cour d’appel de Paris : le code doit être « bon » au moment de la livraison.
Il est intéressant de noter que deux autres décisions ont été rendues en France par des juridictions de premier degré. Ces deux décisions concernaient aussi des projets « d’éducation numérique ». Le jugement du TGI de Chambéry (15 novembre 2007) concernait un projet de « cartable numérique », et le jugement du TGI de Paris (28 mars 2007) portait aussi sur un projet d’enseignement à distance.
Dans tous ces cas, il ne s’agit pas d’un procès entre un auteur de logiciel libre et une entreprise qui l’utilise, mais entre une entreprise qui utilise du logiciel libre pour la vendre à un client.
Attention, donc : la licence GPL est juridiquement valable, et les conséquences de son non-respect peuvent être dramatiques…