15 Mar 2010 Responsabilité des prestataires techniques : coup de tonnerre !
La situation juridique des hébergeurs semblait définie et stable depuis quelques mois. La Cour de cassation par un arrêt du 14 janvier 2010 sème le doute en assimilant les qualités d’éditeur et d’hébergeur. Cela peut avoir des conséquences importantes sur leur modèle économique.
Les prestataires sur internet (hébergeurs, éditeurs, administrateurs…) font l’objet de nombreuses mises en cause. En effet, il est difficile d’identifier les véritables auteurs d’infractions. Les victimes engagent ainsi principalement la responsabilité des prestataires. Les actions sont intentées en matière de racisme, de contrefaçon ou de diffamation.
Pour protéger ces prestataires, le droit a créé un régime spécifique de responsabilité. Ce régime a été construit depuis plus de dix ans, avec comme fondements essentiel la directive n°2000/31/CE du 8 juin 2000. La directive a été transposée en droit français par la loi pour la confiance en l’économie numérique, loi n°2004-575 du 21 juin 2004, dite « LCEN ».
Défini comme « une personne qui stocke des contenus pour le compte de tiers », l’hébergeur n’a, en principe, pas l’obligation d’analyser les données qu’il stocke. Sa responsabilité est donc limitée : celle-ci n’est recherchée que si, suite à la notification d’un contenu illicite, il n’a pas « agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu ».
Une question se pose régulièrement à ce sujet. En effet, à côté des hébergeurs, de nombreux prestataires tentent depuis 2004 de faire admettre aux tribunaux qu’ils ressortissent à cette catégorie : sites de courtage d’enchères (Ebay principalement), moteurs de recherche (Google), et sites de partage de vidéos (DailyMotion, Youtube).
L’arrêt du 14 janvier 2010 semble bouleverser les critères établis. Tiscali, fournisseur d’accès à Internet, proposait, dans ses contrats, de disposer d’un espace de stockage de contenus sur internet. Parmi les contenus, un site internet proposait des images de bandes dessinées en violation des droits d’auteur. Les éditions Dargaud Lombard et Lucky Comics, victimes, ont intenté une action en contrefaçon contre Tiscali. En principe, Tiscali au regard de sa fonction de stockage de la page internet, ne pouvait être déclaré responsable en sa qualité d’hébergeur.
Jusqu’à cet arrêt, la ligne de partage paraissait claire. L’éditeur est celui qui édite du contenu sur internet. Il en est donc responsable. Le prestataire technique (hébergeur) stocke le contenu et n’est pas, en principe, responsable de celui-ci.
La Cour de cassation modifie cette interprétation. Elle estime désormais que le fait de percevoir une rémunération par la publicité présente sur un site internet et de proposer son stockage détermine désormais la nature d’éditeur.
La perception de revenus par un hébergeur engagerait dorénavant sa responsabilité pour tous les contenus stockés. En effet, la haute juridiction estime que Tiscali a permis à l’internaute « de créer ses pages personnelles à partir de son site et a proposé aux annonceurs de mettre en place, directement sur ces pages, des espaces publicitaires payants dont elle assurait la gestion […] ces seules constatations souveraines [ont fait] ressortir que les services fournis excédaient les simples fonctions techniques de stockage ».
Cet arrêt est critiquable, car il semble ajouter une condition à la loi : la responsabilité de l’hébergeur est limitée (pas totalement, d’ailleurs) sauf s’il perçoit des revenus publicitaires de son activité. La cour de Cassation rajoute une condition à la loi. Ce n’est pas son rôle. Le sort des prestataires sur internet, auparavant stable, est donc remis en cause. Ceux-ci ne sont donc plus à l’abri de voir leur responsabilité engagée quasi-systématiquement.
La grande question maintenant est de savoir ce que les juridictions du fond (c’est-à-dire les cours d’appel et les tribunaux) vont faire de cette décision : vont-ils la suivre ou y résister ?